Sur le site de Venette de La Nouvelle Forge, on mise tout sur l’immersion dans la vie ordinaire. Mais pas n’importe comment ! Jeunes accompagnés et professionnels se sont engagés conjointement dans la PéVA®, la « Pédagogie à la Vie Autonome » ! Une méthode mise au point par l’Institut du Mai de l’ADAPT. Delphine Savidan, responsable de son implémentation à La Nouvelle Forge, nous en dit quelques mots.
Comment avez-vous découvert la PéVA® ?
Sophie Dagorne [la directrice du pôle adultes] a présenté la méthode aux équipes de Venette. Nous étions très dubitatifs : ça semblait correspondre à ce qu’on faisait déjà. Qu’est-ce que ça pouvait nous apporter ? Les grilles d’évaluation avaient été pensées pour le handicap moteur, elles semblaient trop rigides pour les jeunes qu’on accompagne.
Mais l’idée a fait son chemin. C’est vrai qu’on avait besoin de structurer davantage nos pratiques d’accompagnement, de partager les mêmes mots et de formaliser nos évaluations. Alors on a reconsidéré la PéVA®. Du point de vue des valeurs, ça pouvait coller : PéVA®, c’est simple au fond. Ils ont observé avec méthode et précision la vie courante, ordinaire, pour la retranscrire en compétences, en déduire des modules de formation et baliser des itinéraires de progression. Les professionnels ont donc accepté d’essayer, en posant une condition : qu’il soit possible d’adapter la méthode et les outils aux particularités des jeunes accompagnés.
Et alors vous vous êtes lancés…
Nous et surtout les jeunes. Trois d’entre eux, et trois professionnels, sont partis ensemble en formation, à l’Institut du Mai à Chinon, pendant trois jours. Ils ont visité l’établissement qui héberge le centre de formation, ils ont découvert les grands principes de la méthode, puis ils ont entamé un module sur place, celui qui concerne la gestion de l’argent. Quand ils sont rentrés, ça nous a paru évident qu’il fallait continuer. Par la suite d’autres professionnels sont allés suivre des formations, et un 4e jeune est entré dans le dispositif.
Qu’est-ce que ça a changé ?
L’implémentation de la PéVA® implique un changement de posture, des jeunes accompagnés comme des professionnels. Comme on cherche à rendre la personne autonome, le principe est de ne pas faire les choses à sa place. Ça a l’air tout bête dit comme ça, mais en pratique ça suscite des réactions.
Vous avez un exemple pour illustrer ?
Quand un jeune s’engage dans le module de gestion de l’argent, il n’est plus question de porter un jugement sur ce qu’il achète en faisant ses courses. S’il n’achète que des bonbons, il ne mangera que des bonbons. En faisant face aux conséquences de ses choix, la personne apprend. Et les effets sont rapides. Assumer des responsabilités fait naître une certaine fierté. L’estime de soi en sort grandie.
Et là on touche une dimension essentielle de l’inclusion, dont on parle peu : être à découvert, se laisser tenter par un achat impulsif, ça fait partie de la vie, et il n’y a pas de raison qu’ils soient préservés de cette expérience. Pour les professionnels, ça suppose d’accepter une certaine prise de risque de la personne accompagnée.
À quoi servent les grilles d’évaluation dont vous parliez ?
Ce sont des repères, des supports pour faire le point avec les jeunes. Des itinéraires de progression sont prévus, mais bien évidemment nous nous adaptons aux situations concrètes.
On adapte le rythme de progression, notamment. Il faut garder à l’esprit que le but ultime n’est pas de valider tel ou tel module, mais de devenir plus autonome. Ce qui implique que les formateurs puissent prendre le temps en individuel, et donc qu’on laisse les professionnels prendre ce temps-là. C’est de l’autonomie en ricochet.
Quelles sont les perspectives pour La Nouvelle Forge ?
Depuis notre première « promo », la pratique a essaimé, et d’autres professionnels se sont déclarés intéressés. On a maintenant toute une équipe et l’on est capable de proposer davantage de modules aux personnes accompagnées. Il y a un engagement, de la direction, des personnes, des formateurs, pour que l’on aille jusqu’à l’obtention de certificats de validation des compétences. En 2024 nous dresserons un premier bilan et nous espérons faire entrer d’autres jeunes dans le dispositif en 2025. Les SAMSAH, antenne de Beauvais et Vallée de l’Oise, vont se former également à la PéVA®. Et l’approche s’inscrit dans nos pratiques : nous en parlons dès le recrutement aux nouveaux professionnels. Dès l’offre d’emploi, pour tout dire.
Les témoignages
Étienne, jeune accompagné par le PJA
« Je suis engagé dans différents modules : gestion de l’argent, gestion du temps, et bientôt santé, besoins fondamentaux, vie sexuelle et affective. Le plus compliqué c’est de gérer mon temps. J’ai acheté un agenda électronique. Je note moi-même mes rendezvous et j’utilise des codes couleurs. Dedans j’ai aussi des tâches primaires et des tâches secondaires. Et je peux changer. Par exemple, j’avais mis le ménage de mon logement en tâche secondaire, mais du coup je ne le fais pas alors je vais le passer en tâche primaire. Bon, j’ai encore tendance à arriver trop tôt à mes rendez-vous. Dès que j’ai un moment de vide, je me prépare et je pars à l’assaut. Il faut que ça s’enchaîne…
Mais sans la gestion du temps, je ne sais pas si j’aurais pu faire du karaté, au dojo de Venette. Je fais du karaté depuis septembre 2023. Ce que je veux dire d’important, c’est que chaque jeune est différent, chacun a ses projets. Et j’aime discuter avec les autres jeunes qui ont suivi PéVA®. Pour terminer je voudrais faire part de cette citation : « Une évolution nécessite du mérite ».
Etienne (prénom modifié)
Et qu’en disent les pros ?
« J’avais tendance à surprotéger les jeunes. Je pensais bien faire, mais ça ne laissait aucune place à l’apprentissage par l’erreur. Les laisser faire n’est pas facile, au début. Au bout d’un moment, on se rend compte que ça déclenche une nouvelle forme de responsabilité chez eux », Mariam, accompagnante éducatif et social
« Pouvoir se déplacer, gérer son temps, gérer son argent, c’est une base essentielle qui a longtemps été négligée. Ce n’est pas toujours simple, mais on voit vraiment des évolutions. L’important c’est de ne pas griller des étapes. Respecter le rythme de la personne est une condition de réussite ». Manon Caudron, assistante sociale
« La mise en place de la gestion autonome de l’argent a pu inquiéter certaines familles, ce qui me parait tout à fait compréhensible. C’est très important d’en parler avec eux, d’expliquer la démarche, les résultats attendus, etc. ». Emilie Berlu, aide médico-psychologique